into the darkness

》 21 ans plus tôt ;
22:58, habitation des Reeus.
08, Madison Street.
Dans les rues étroites d'un Grayson métamorphosé, les ombres se chevauchent, intouchables. Le mensonge circule aussi vite que la pluie, et le danger se faufile dans les bouches d'égout, sans un bruit.
Une vieille musique résonne dans une chambre vide, au décor minimaliste, un verre de vin solitaire est posé sur l'étagère. Le disque tourne, tourne, le grésillement de sa vieillesse retentit avec chaleur. Des pleurs stridents suivirent les cris de douleurs. L’enfant venait de naître. Un nouveau-né qui plus tard servirait de pion pour la communauté. Un destin tout tracé et un avenir déjà briser.

》 présent ;
01:37, habitation des Reeus.
08, Madison Street.
Tremblante, elle se tient à quelques mètres de lui, le visage humide de larmes et de transpiration. Elle tient son enfant d'une main ferme, ses frêles épaules emprisonnées par ses paumes meurtries. Elle l'observe, effrayée, mais son enfant garde ses petites mains devant ses yeux pour ne pas regarder la mort dans les yeux. Alors, impuissant, Nikolaj s'avance et tend les bras vers eux mais la femme recule. Le silence retentit avec violence contre les parois, et étrangement, il se rend compte qu'ils ne sont pas entre des murs, mais dans des égouts. Froids, puants, inhabités. Des gouttes tombent, une à une, et leur mélodie avait des airs de berceuse ; mais la respiration de Nikolaj venait toujours éclater le lent tempo. Il vit sa propre main s'ouvrir pour les accueillir avec chaleur, mais au lieu de cela, la femme se mit à hurler si fort qu'il ne put que reculer à son tour. Elle criait, elle criait, et ses cordes vocales explosaient à chaque seconde. Son enfant ne bougeait pas, insensible au bruit, les mains immobiles devant les yeux qu'elles cachaient. Le triste duo rendait la scène encore plus effrayante. L'instant d'après, une larme de sang coula le long de la joue de la femme, et sa bouche déformée continua de s'ouvrir, grand, grand, encore plus grand si c'était possible, lâchant un long râle strident. Nikolaj baissa les yeux, instinctivement, lorsqu'il reconnut une matière tiède, presque chaude et familière, qui lui chatouillait la peau. À la place du cœur, une énorme tache s'étalait avec une lenteur, dangereuse. L'horreur emplit sa tête mais il ne pouvait plus bouger. Les trois personnages, infiniment immobiles, se voyaient alors accordé leur triste fonction ; l'un se cachait, l'autre gueulait avec animosité, et le dernier considérait avec impuissance sa mort lui caresser la peau. Puis là, alors que tout semblait être au sommet du délire, tout se mit à trembler. Non... pas à trembler... à vibrer. D'une puissance incroyable, comme si tout son corps était la source même de ces secousses. Et alors que le sang gagnait du terrain et que le cri se poursuivait, interminable, tout s'évapora brusquement.

Il se redressa vivement, trop peut-être, si bien qu'il sentit le monde tourner autour de lui. Malgré le silence assourdissant qui l'accueillait dans cet autre univers, un bruit persistait toujours, avec lui cette impression pénible de malaise. Il tâta les draps emmêlés autour de ses jambes poisseuses de sueur, puis sous les oreillers écrasés par sa tête, et finit par dénicher l'objet de ses recherches. Son téléphone portable, l'écran lumineux, vibrait avec démence. L’intéresser verrouilla l'appel et se laissa tomber en arrière, portant l'appareil à son oreille. Fidèle, ce fut la voix de son cousin qui lui répondit.

« Je dérange ? fit-il, innocent.
— Tu vas me détester, mais tu arrives malheureusement au bon moment.
— Cauchemar ?
— Un de plus. Je deviens dingue, souffla Nikolaj avec fatigue. »

Il se frotta l'œil gauche de sa main libre et fixa le plafond, patient.

« Je peut comprendre, c’est pas facile à vivre c’qui t’arrives. D’abord ta mère, puis maintenant ton pè…
— Viens en au fait Adam. Coupé court a la conversation, c’était ça le secret.
— Oui, d’accord, mh je t’ai envoyé les affaires qui restaient dans le bureau de ton père. Tu devrais les recevoir dès demain, si tout se passe bien.  
— D’accord. C’est tout ?
— Non. Une pause brutale démembra ses quelques mots, je suis sincèrement désolé, pour tout ce qui t’arrive.
— Oui, moi aussi. Au revoir, Adam.
— Au re… »

Nikolaj retourna alors à la contemplation du vide. Le regard déterminé, embué par cette souffrance quotidienne.

》 2 semaines plus tôt ;
23:20, bureau de mr.Reeus.
Edgerton.
« Vous ne comprenez donc rien. Vous ne savez rien. Vous êtes tous autant que vous êtes des putains d’aveugles et des idiots ! Roman Reeus desserra sa cravate tout en continuant à faire les cents pas au travers de la pièce. C’est eux qui on orchestrer tout ça et vous le savez pertinemment ! »
A l’intérieur, un bras se débat, une voix s'étouffe, et le bruissement imperceptible d'un couteau pénétrant la chaire, emprunt d'un désespoir de dernière minute.
Les bruits cessent et un corps chute lourdement. Un autre se relève, s'époussette et s'en va. La sueur coule le long de ses tempes, et la lassitude brûle sa peau. Affaire classée, le tueur s'en va,  l'écho d'un râle sur ses talons.
Monsieur Reeus venait de mourir, emmenant avec lui tout ses secrets et le combat qu’il avait si courageusement – bien qu’idiotement, perdu.

En construction.