Chimères

Ah, la vie ! Tragédie douce amère, ô putain mirobolante qui m'a aveuglé et conduit à ma perte ! ᚖ FANTE

Chaque histoire commence par la ligne infime de la vie, de la naissance et se termine trop souvent en des boucles suffocantes, étranglée par notre propre vécu, amassée sur le bitume, des marques rouges jusqu'à la mâchoire, un filet de sang dégoulinant de notre bouche. Mais ça, Donnie il sait qu'il ne le vivra jamais, il sait que la ligne de sa vie n'est d'autre qu'une masse faner sur le sol, un poids gigantesque l'empêchant d'avancer, l'empêchant de continuer sa route, il sait qu'il finira brisé, qu'il finira en poussière, non en cendres. Les cendres sont pour les corps. Donnie, lui, il n'est pratiquement pas humain, il n'emprunte que leurs émotions, leurs façons de vivre, c'est un enfant sauvage dans la meute de loups qu'est la terre.

Et il a trouvé sa meute Donnie, imposé, elle est ici. Il se demande bien s'il pourra la quitter un jour, il se demande s'ils le laisseront partir ou si les rochers lui barreront encore son chemin, s'il est véritablement attaché à Grayson ou s'il pourra retourner chez lui : dans sa cabane près du Mississippi; là où ça sent le poisson à plein nez, là où on peut pêcher ces êtres à mains nues. Là où l'air est aussi tendre que la lumière douce d'un soir d'été et ça sent aussi la pluie. La pluie contre le goudron chaud lors d'une grosse journée. Et maman le berce tendrement près de la balançoire. Quelques gouttes commencent à tomber, ils sont heureux. Papa va les rejoindre, il sort du travail comme chaque soir avec un sourire jusqu'aux oreilles quand son enfant sauvage lui saute dessus pour le maculer de baisers. Le paternel est heureux quand il voit son fils vivre, le paternel est trop heureux lorsqu'il voit son fils rire, ça lui coupe parfois la vue, ça l'aveugle dans ces moments-là, ça l'aveugle au point de ne pas voir la voiture qu'ils vont percuter de plein fouet. La voiture ou le camion peu importe. Le résultat est le même, Donnie part vivre à Grayson chez son oncle, chez son misérable oncle et il ne verra jamais plus le Mississippi, les embruns du fleuve, ces chants silencieux, le bruit du courant s'étendant calmement dans les champs. Au nord du pays, il y a bien de grands lacs mais rien n'est pareil, l'air n'est plus la même, le goût de l'été est différent et l'hiver est encore plus amer qu'avant. Ses pieds nus deviennent maculés de boue dans le Missouri, dans le putain de Missouri. Il n'attrape plus de poisson à la main depuis des années, dans ce foutu Grayson. Même la couleur de l'eau a changé ici, même les aliments ont changé. Plus rien n'est pareil, c'est étourdissant. C'est nauséeux. Il se sent mal Donnie, ses jambes ne le tiennent plus, il sent des picotements jusqu'au bout de ses phalanges, jusqu'à son âme, ça commence à le bruler, ça commence à l'acidifier. Il va exploser, il va se briser, éclater en morceaux. Il tombe. Un filet de sang s'évadant de sa bouche et se répandant sur le bitume souillé de Grayson.

Narcolepsie

- Oh ! Ça va gamin ? Y'a pas que des vieux rejetons ici. Y'en a aussi des jeunes.
- Je suis... il se relève fiévreusement, les mains tremblantes, le pantalon froissé, la nuque poussiéreuse, il ne peut y passer sa main sans enlever un faisceau de dépôts. Une couche de déchets, déchets humains, déchets parasites, déchets Grayson. Il passe ses mains le long de son torse, essayant de sentir sous son léger vêtement que tout est en place. Qu'il ne lui manque pas une pierre ou même un caillou. Il essaye de filtrer de son regard brumeux les alentours, il ne reconnaît pas vraiment.
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, frère ? Lui résonne la voix sifflante de l'homme à la veste à carreaux bordeaux, l'homme à la légère barbe et la peau endormie. Il ne doit avoir que 25 ou 27 ans et pourtant dans ses yeux on pourrait lire qu'il ne prend plus goût à la vie. Alors Donnie lui sourit, ça le rassure le jeune barbu, ça rassure Donnie. Ça rassure Grayson aussi. Mais ça il s'en fout, il préfère mentir, la nature humaine n'est qu'un mensonge.
- Ça m'arrive parfois, quand j'suis stressé, il n'arrive pas vraiment à décrire la pluie de météorites, la comète qu'il se prend en pleine gueule quand ça lui arrive. Il n'arrive pas non plus à comprendre comment les étoiles font pour se battre dans ses connexions psychiques. Quand ça fait bang et qu'il tombe, quand il soulève un léger nuage de poussière ou qu'au contraire c'est la flotte qui manque de le noyer, de le séquestrer dans sa piteuse rivière. Ça ne lui arrive pas souvent, heureusement. Uniquement quand il est stressé et il a toujours réussi à gérer le stresse qui le rongeait. C'est le mystère Donnie, le mystère qu'il emportera dans sa tombe, dans les gravats. Il voudrait bien ce foutre un couteau dans la gorge, un flingue à sucer dans la bouche, mais il n'y pense pas assez pour le concrétiser, ce sont des pensées futiles, malsaines qu'il arrive à contenir aussi. Pourtant, il se rassasie en imaginant les scènes. En imaginant le traumatisme bénin, en imaginant la balle se loger au fond de son palais sans n'atteindre aucune autre source que son palais, laissant un léger goût de palais rocailleux dans sa gorge rocailleuse. Ou bien même casser la lame du couteau lorsqu'il essayerait de se l'enfoncer trop profondément dans sa cage thoracique, égratignant son torse. Égratignant ses pensées, ses mauvaises pensées.
Il vint à essuyer les gouttes carmin sur le coin de ses lèvres. Quelques gouttes d'un autre sang, ce n'est pas le sien.

Béton

Oh ! Ça va gamin ? Il est où ton esprit gamin ?, pensait-il. Donnie il n'a jamais eu besoin d'être deux, d'être trois ou bien dix. Donnie il a toujours eu besoin que de lui, que de ses mains pour se sortir de la crasse. Donnie il n'a jamais eu besoin de qui que ce soit étant donné qu'à la fin il retournera seul. Il est né seul et le retournera. Il est où ton coeur gamin ? se questionnait-il. Il se demande parfois comment fonctionne-t-il ? Si là-dedans il y a des multitudes de poulies, d'engrenages ou d'autres conneries pour actionner les montagnes internes et les monts externes. Torg c'est différent, Torg n'est pas humain lui non plus. Donnie a cette capacité à définir qui sont des robots ou des aliens. Les gens qui suivent le troupeau ou ceux qui ont leurs propres identités. Donnie, il sait aussi quand il peut être ami avec quelqu'un, mais cette fois-ci c'était le mot évidence qui s'était invité dans leur conversation. Torg ! il est grand et barbu comme le gars de la dernière fois, mais un peu plus vieux. Torg il n'a pas de bataille d'étoiles dans sa tête, mais dans les yeux. Il n'a pas de pluie de météorites qui l'emmerde. Les météorites elles l'aident à construire des planches. Et les comètes l'ont aidé à trouver Donnie pour qu'il travaille dans son métier. Torg, il a autre chose à la place des mains, un quelque chose de propre et soigné, voire magique. Il est féerique Torg. C'est sans se l'avouer, un second père pour lui.

Comble d'un homme en pierre de travailler le bois, Torg lui il s'en fout que Donnie n'ait pas de coeur et qu'il soit parfois maladroit avec ses bras en ciment. Torg, il aime bien Donnie. Et Donnie aime beaucoup trop Torg, parfois c'est envahissant. Parfois, son mentor le voit sur son visage, parfois sur le visage de Donnie ce n'est plus l'amitié qui se décrit, c'est un sentiment de pierre tombale, c'est un enterrement d'émotion, c'est une strangulation de sentiments. C'est autre chose que l'amour, c'est bien autre chose, c'est un besoin, une envie. C'est un fantasme, c'est la volonté d'écrire père sur ses doigts, c'est la volonté de cogner ses lèvres contre les siennes, c'est la volonté de lui donner tout, de se donner. C'est autre chose, c'est une émotion de Donnie, incompréhensible. Parce qu'il y a les autres dans le monde des robots, il y a ses amis, ceux qu'il pense considérer comme, il y a aussi son oncle, il y a sa tante. Il y a aussi le pantin en béton qui se dessine sous une pluie d'acides en automne. C'est Donnie.