DORIAN, CARRY ON

L’enfant est le père de l’homme. Quand Suzanna Spelling a soufflé cette phrase à son adolescent de fils après une énième dispute entre Dorian et son père, ça a été la révélation. C’est à partir de ce moment qu’il a commencé à cesser d’essayer de s’éloigner à tout prix pour voler de ses propres ailes, loin de l’autorité paternelle toute puissante. Dorian n’a pas choisi de rentrer dans le rang pour autant ou de suivre les pas tout tracés par Declan Spelling, mais il a arrêté de se comporter comme un enfant capricieux pour commencer à se comporter comme l’égal du shérif de Grayson. A partir de là, tout est devenu plus simple et Dorian a pu devenir l’homme qu’il est aujourd’hui.
Un homme simple et de bonne nature, intègre, avec des principes et une éducation qu’il revendique. Contrairement à une trop grande majorité de ses congénères, le jeune homme sait d’où il vient et sait donc où il veut et peut aller. Il n’a pas honte de ses échecs desquels il a toujours su tirer un enseignement, grâce notamment au soutien de ses parents. Surtout de celui de sa mère en réalité, puisqu’avant d’obtenir la clé de sa relation avec Declan, leur non compréhension mutuelle était un frein non négligeable. L’exemple le plus criant de la manière dont la famille fonctionne prend place lors des anniversaires de Dorian.  Son père tient toujours à lui offrir un cadeau qu’il juge utile ou est censé le guider sur la voie qu’il juge la meilleure à emprunter pour son fils unique. La plupart du temps, Dorian déteste ces présents qui ne lui correspondent en rien et c’est sa mère qui lui redonne le sourire en lui glissant quelques billets dans la main, en douce, histoire qu’il puisse s’acheter quelque chose qui lui fera réellement plaisir. Si à une époque, ce genre de comportement le mettait hors de lui, avec le temps, le garçon a appris à faire avec et à pardonner les efforts maladroits à son père. Et si les choses n’avaient pas finalement tournées comme elles l’ont fait, ils seraient certainement proches tous les deux aujourd’hui…

Dorian ne s’est jamais imaginé être un homme capable de tourner le dos à ses proches et pourtant, lorsque Declan lui a révélé le secret de Grayson qu’il lui incombait de protéger à son tour : il a fuit. Lui qui se pensait capable d’assumer de lourdes responsabilités, se croyait un homme solide sur qui ses amis pouvaient compter en toutes circonstances, a finalement pris la poudre d’escampette dès que les choses sont devenus un peu trop lourdes à porter pour ses frêles épaules. Des épaules de gamin, finalement. S’il pensait être devenu un homme en comprenant enfin son père, Dorian s’était lourdement trompé. Si Declan se montrait toujours distant et intolérant avec lui, cherchait constamment à le pousser dans ses derniers retranchements, l’incitait à se forger un caractère trop rude à son goût ce n’était pas simplement parce qu’il ne savait pas s’y prendre avec lui… Il ne tâtonnait pas pour apprendre à devenir père, n’essayait pas de devenir un homme meilleur à ses yeux d’enfants ou à le rendre fier. L’ancien shérif cherchait à le préparer à ce qui l’attendait et à assumer le destin que Grayson avait tracé pour chacun de ses enfants maudits.
Un destin que Dorian n’a pas voulu endosser. Un destin en trop grande inéquation avec ses principes et sa manière de voir le monde et de considérer ses congénères. Le passé de cette ville qu’il a toujours considérée comme la sienne et qu’il chérissait, a été trop difficile à supporter. Hors de question. Alors Dorian a pris sur lui de déroger à ses propres règles et d’abandonner tout le monde plutôt que de céder aux caprices d’une ville trop avide de sang et de se laisser dévorer corps et âme.

Le plus dur aura certainement été de quitter Hadley. Enfin Carter, puisque c’est de cette manière qu’elle préfère se faire appeler. Il n’a rien pu lui dire. Rien voulu lui dire. Même s’il n’approuvait en rien les décisions prises par ses ainés et qu’il était apparemment de son devoir d’assumer sans émettre de jugement, Dorian s’est senti souillé et a eu l’impression de ne plus mériter ni l’amitié, ni l’amour de la jeune femme. Comment la regarder en face en sachant qu’il était devenu le gardien d’un secret aussi macabre ? Comment être encore capable de rire avec elle, de la toucher, de lui faire l’amour alors qu’il était maudit ? Hors de question de la mêler à tout ça et de laisser l’infamie dont s’étaient rendu coupable ses ancêtres l’éclabousser elle aussi. Il a trouvé préférable de l’abandonner et de se taire.  

S’il est parvenu à continuer de vivre, il n’est pas parvenu à l’oublier. Ni elle, ni ses parents, ni Grayson. Il a connu d’autres femmes, d’autres villes, s’est fait de nouveaux amis, a trouvé un travail qu’il a aimé, mais Dorian n’a jamais été capable de tourner la page et de renoncer tout à fait à sa vie d’avant. Où qu’il soit, quoi qu’il fasse, il lui a toujours suffit de fermer les yeux pour être de retour à Grayson, parmi les siens. Elle ne se laisse pas oublier si facilement…
Et puis un jour, alors qu’il passe son coup de fil trimestriel à sa mère, celui dont il a besoin pour se sentir mieux et pour le faire se sentir mieux (ou du moins l’espère-t-il), elle lui apprend l’impensable. Son père est mort. Le shérif, son héros, celui qu’il pensait inébranlable, est mort. Mort pendant qu’il était à des kilomètres de là. Mort depuis des semaines et enterré. Dorian a pour habitude de ne jamais dire un mot à Suzanna, se contentant d’être à l’autre bout de la ligne et d’entendre sa voix, mais cette fois, il prend la parole. Il prononce deux mots qui scellent à jamais son destin. « Je rentre. »