time waits for no one.

J’ai souvent rêvé que je tombais, si on peut appeler ça un rêve. Ce genre de rêve où tu ne peux te raccrocher à rien, où tout ce que tu penses attraper se brise entre tes doigts. Tu te sens chavirer. Tu as beau hurler, rien n’y fait. Tu as peur, tu te sens minuscule et misérable. J’ai souvent fait ce rêve, aux moments difficiles de mon existence. Un psy dirait que c’est normal, que je suis humain et que ça témoigne d’une recherche de marques dans ce monde. Mais moi, mes marques, je les ai trouvées. Ce sont mes amis, ma famille. Je sais que je peux me raccrocher à eux, quand je chavire. Qu’une de leurs mains, au moins, se tendra à moi. Alors pourquoi je continue de tomber ?

CHAPITRE I : NEVERLAND.

« Gilliam, occupe-toi de Kathy et Amber, d’accord ? Ta mère est fatiguée, et je rentrerai un peu tard. » Je soupire et je croise les bras, l’air boudeur. Mon père rit un peu et m’ébouriffe les cheveux d’un air condescendant. « Je suis fier de toi mon fils, ne l’oublie jamais. » Cette phrase, je ne l’ai jamais oubliée. Je lui fais le salut militaire en riant et enfonce mes mains dans mes poches en le regardant partir. Je sais qu’un jour je serai à sa place, je lui ai promis et je me le suis promis à moi-même. Protéger les gens, c’est mon rêve. Mais en attendant … « Gilliam, Kathy m’a volé ma poupée ! » … le flic, je dois le faire à la maison. Je ferme la porte et cours après les jumelles qui ont décidé de pourrir ma soirée comme bien d’autres auparavant et comme de nombreuses à venir. Je déteste mes sœurs, comme tout grand-frère qui se respecte, mais je les aime tellement ! Quand je vois leurs yeux couleur chocolat me fixer d’un air innocent, leurs bouclettes brunes et leur sourire angélique, je ne peux que craquer. Je suis dingue d’elles, et je ferais tout pour les protéger. Kathy et Amber, mes anges sur Terre. Ma mère arrive dans son peignoir de soie et baille, épuisée et amaigrie. Elle est de constitution fragile, toujours malade et chétive, mais elle fait de son mieux. Depuis la naissance des jumelles, sa santé a empiré. Pourtant, elle continue d’aller au travail et de tomber de fatigue une fois rentrée, elle continue à nous faire des crêpes et à serrer mes sœurs dans ses bras quand celles-ci se ruent sur elle en criant « maman » comme si c’était la plus belle chose au monde, et alors elle écarte les bras afin que je les rejoigne. J’aime lui dire qu’elle est belle et que je l’aime, parce que j’ai toujours peur que ce soit la dernière fois que je la vois. Mais ma mère est un guerrier, un exemple de courage et de force, et ma mère est toujours sur pieds quinze ans plus tard.

Aussi loin que je me souvienne, ma famille a toujours habité à New-York. Mon père avant moi et son père avant lui, celui qui est mort la veille de ma naissance. Son propre père vivait là avant, et ça ne m’étonnerait pas que son père à lui y soit né aussi. Nous avons bâti notre fortune sur notre engagement pour cette ville : mon grand-père a longtemps été shérif, et puis il a été remplacé par quelqu'un de plus riche et ambitieux. Mais rien n’a empêché les Winters de rester adjoints, comme mon père. Il a été très malheureux de devoir devenir "policieur" quand nous sommes partis vivre quelques années en Angleterre, et puis c'est tout naturellement qu'il a récupérer son titre en revenant à New-York. Si au début je tenais à faire la même chose que lui, j'ai fini par trouver ma propre vocation : acteur. C'est en Angleterre que je fais mes débuts et ma carrière explose quand je retourne aux Etats-Unis. Un rêve qui s'accomplit. Si mes sœurs n’ont pas très bien assimilé la notion de « valeur de l’argent », ce n’est pas mon cas. J’ai appris à me contenter du strict minimum, de ne rien réclamer. J’ai assez d’exemples malgré mon jeune âge de ce que c’est que de mener une existence compliquée, aussi je fais attention. Et puis je n’ai besoin de rien, tant que j’ai les gens que j’aime près de moi. Ça m’a donné conscience qu’on passe sa vie à courir après ce que l’on n’a pas, et une fois qu’on l’obtient, on ne s’y intéresse plus réellement. On l’a, et c’est comme ça. Je ne joue pas pour l'argent, je joue pour exister.

CHAPITRE II : HAPPINESS THERAPY.

Diana. Ce prénom suffit à me faire trembler. Cette fille est plus jeune que moi, travaille comme actrice également. J’ai vingt-deux ans quand je la rencontre, elle en a seize. Six de moins, six de trop. Je ne sais pas comment elle arrive à me faire vibrer comme ça, sa présence me rend dingue. Elle l’a bien compris et elle en joue énormément, s’amusant à me provoquer là où je suis obligé de la rejeter. Elle est ma sœur à l’écran, dans ce thriller familial où je suis censé la sauver des griffes d’un prédateur sexuel, prédateur sexuel que je représente pour elle derrière la caméra. Elle s’offre à moi deux ans plus tard, lors d’une soirée organisée par un de nos amis communs. Je ne l’avais pas vue depuis, sauf en couverture des magazines people et sur quelque malheureuse page internet. Nous cachons notre relation pendant près d’un an, avant que la vérité éclate au grand jour. Oui elle est mineure, oui je suis majeur, et nous sommes vivement critiqués mais nous tenons bon. Les années passe et nous avançons ensemble avec nos hauts et nos bas, comme tout couple en ce bas monde. Kathy adore Diana, Amber la déteste. « Elle est néfaste, crois-moi. Tu vas vite souffrir. » elle répète sans cesse. Bien que je lui rétorque qu’elle raconte n’importe quoi, je ne peux m’empêcher d’angoisser à ce sujet. Et c’est bien évidemment Amber qui a raison, comme d’habitude. Mais je fais semblant de ne rien voir pour ne pas souffrir. M’aveugler pour me préserver, parce que l’amour fait mal. Nous ne nous accordons plus. Je veux une famille, des gosses … Et elle, elle est elle-même encore une gamine. J’ai peur de la perdre, j’ai ce trou dans la poitrine chaque fois que je pense qu’elle pourrait être loin de moi. Pourquoi est-ce si difficile de dire ce que l’on ressent ?