Sit down and open your ears

Après une journée de travail à l’épicerie Pryde, tu rentres à la maison, fatiguée. Le lit dans la chambre à coucher reçoit ton corps qui s’affale sur le matelas puis ton regard se pose sur une guitare en bois appuyée contre l’armoire à vêtements. L’instrument t’avait été offert à l’âge de six ans par tes parents, amateurs de musique. Certainement le plus beau cadeau de ta vie, n’est-ce pas ? Haute comme trois pommes, tes bras peinaient à tenir la guitare droite, même assise. Et pourtant, le rêve de devenir une grande musicienne avait commencé. Ce soir-là, James et Hannah Boyle sourirent en voyant leur petite fille si heureuse. Ta mère prit ensuite son appareil photo afin d’immortaliser le moment. Après tout, c’était son métier de figer des lieux, des personnes ou des objets dans le temps. Elle était même payée pour ça. Ton père, en revanche, était plutôt le manuel de la famille, faisant le trajet chaque jour jusqu’à la menuiserie d’Edgerton pour fabriquer des meubles qui serviraient au quotidien des habitants de la région.

Les années passèrent sans grandes histoires pour ta famille, contrairement au village de Grayson où vous viviez. Les évènements qui s’étaient produits certaines années étaient assez surprenants pour ne laisser personne indifférent, même dans les villages voisins. Tes parents disaient que les victimes n’avaient simplement pas eu de chance, que le hasard faisait bien mal les choses. A cette époque, la petite fille que tu étais les croyait sur parole.

Un soir, des sons de voix te réveillèrent. Inquiète, tu ouvris un peu la porte ta chambre pour écouter et te rendis compte tes parents étaient en train de se disputer dans le salon.

JAMES BOYLE ▬ C’est quoi cette photo, Hannah ? Qui est cet homme ?!  
HANNAH BOYLE ▬ Tu n’aurais jamais dû voir cette photo, j’aurais dû…
JAMES BOYLE ▬ Ne te moque pas de moi, réponds à la question !  
HANNAH BOYLE ▬ C’était un client, je devais simplement lui faire des photos et puis les choses ont tourné si vite…    

Leur dispute s’intensifia, l’ambiance était soudain devenue affreusement triste. C’était incompréhensible, ça ne pouvait être qu’un cauchemar ! Quelque chose sembla se déchirer dans ton cœur d’adolescente lorsque tu te rendis compte que cette histoire était réelle. Tu t’élanças dans l’escalier, les yeux inondés de larmes, cria, puis…plus rien. A ton réveil le lendemain sur le canapé du salon, la première chose que tu vis fut une valise. Quelques minutes plus tard, ta mère pénétra dans le salon, un air anxieux sur le visage. Elle tenta d’expliquer que ton père et elle ne pouvaient plus vivre ensemble, que tu n’avais aucun rôle dans cette histoire mais tu te levas brusquement du canapé pour courir hors de la maison. Ces mots étaient insupportables. A ton retour, alors que la nuit venait de tomber sur Grayson, ta mère tout comme la valise à l’entrée du salon étaient parties.

L’année passa difficilement, comme une pilule dont le goût infect ne semblait pas s’atténuer. Le sourire sur le visage de ton père mit du temps à réapparaitre et même ainsi, il ne dégageait plus la même chaleur. La colère s’emparait parfois si vivement de ton cœur qu’elle t’en donnait la nausée. Elle avait décidé de ne plus exister pour vous, elle n’avait donc plus sa place dans vos vies. Ce discours ne resta cependant pas plus d’une année dans l’esprit de ton père, tant cette situation lui était insupportable. Un jour il t’annonça que vous alliez déménager à Saint Louis, pour retrouver ta mère et surtout lui demander de revenir à Grayson. Saint Louis était une grande ville, il était sûrement facile d’y vivre incognito sans changer de nom donc ta mère devait forcément se trouver là-bas. Et puis même si elle vivait un peu plus loin, vous pourriez plus facilement faire des recherches à Saint Louis qu’à Grayson où Internet fonctionnait une fois sur sept. Alors que certains auraient redouté cette idée farfelue, par crainte de souffrir encore plus si elle ne fonctionnait pas, tu t’y accrochas comme une bouteille à la mer. Enthousiaste, tu te demandas même pourquoi tu n’y avais pas pensé plus tôt. Ta mère vivait probablement à Saint Louis, peut-être même plus avec ce type, et elle retomberait amoureuse de ton père lorsqu’ils se verraient à nouveau ! Elle serait alors forcée de vouloir revenir à Grayson ! Après avoir préparé les valises, tu quittas la maison de ton enfance.  

Saint Louis était une immense ville, comme tu avais rarement eu l’occasion d’en visiter. Si les premiers jours une certaine excitation envahissait ton cœur, à l’idée de commencer une nouvelle vie, l’anxiété ne tarda pas non plus à se montrer. Vous habitiez un petit appartement dans un vieil immeuble au cœur de la ville. Les bruits de la rue montaient jusqu’aux fenêtres jours et nuits, inlassablement. Tu t’étais déjà plainte auprès de ton père de l’état catastrophique des murs et de la puanteur dans le hall d’entrée mais il te répondait à chaque fois ne pouvoir rien y faire car les sous manquaient pour se loger dans un quartier plus confortable.

Après les cours, tu ne rentrais jamais tout de suite à l’appartement, arpentant la ville à la recherche de ta mère. Après avoir commencé par les lieux les plus fréquentés, tu attaquas les petites rues puis les quartiers de banlieue en retournant plusieurs fois aux mêmes endroits, sait-on jamais. Ainsi tu passais la plus part de ton temps libre dehors, à des heures différentes de jour comme de nuit, ce qui n’était pas toujours au goût de ton père.

JAMES BOYLE  ▬ C’est maintenant que tu rentres ?! Charlie, tu n’es même pas majeure !
CHARLIE BOYLE ▬ Mais papa, c’est pour retrouver maman !

…C’était vrai, jusqu’à une certaine période. Après environs deux ans de recherches à ne retrouver aucune femme ressemblant à ta mère de près comme de loin, ta détermination n’était plus si sûre. Ton père, en revanche, n’avait pas lâché et continuait à chercher par n’importe quel moyen une trace d’elle. Au cours de tes sorties, beaucoup de gens étaient venus à ta rencontre, plus ou moins fréquentables. Du haut de tes vingt ans, peu t’importait de savoir s’ils suivaient les cours, avaient un travail ou se rendaient à l’église chaque dimanche, du moment que tu pouvais t’amuser (sans faire d’excès).

Ta vie loin de Grayson semblait bien tracée lorsqu’un jour tu fus obligée d'y accompagner ton père qui devait rendre visite à un ami. La voiture dut s’arrêter un instant devant le garage Teller & Redd’s pour laisser passer une vache désireuse de brouter l’herbe du terrain en face. A ce moment, tes yeux parcouraient le paysage si familier avec excitation lorsque tu le vis. Un blond musclé à côté d’une voiture que tu ne reconnus pas tout de suite : Hunter Pendleton. Woaw, quel beau gosse ! Il ne t’en fallut pas plus pour tomber sous le charme !

Aussitôt revenue à Saint Louis, Hunter occupa tes pensées et fantasmes. Tu le voyais, l’imaginais, comme dans un rêve. Il semblait avoir quelque chose de plus que les autres mecs avec qui tu étais déjà sortie. A côté de lui, ils paraissaient tous faibles, ennuyeux, moches. Ensemble, le temps n’aurait plus d’importance, il n’y aurait de place uniquement pour le plaisir de jour comme de nuit. Pour cela, il ne restait qu’une solution : revenir à Grayson. A l’aube de tes 21 hivers, la valise était prête et tu partis. La décision avait été dure mais inévitable. A tes yeux, ton père devait poursuivre les recherches pour retrouver ta mère, puisqu’il ne pouvait vivre sans elle. Mais ce n’était plus ton combat. Grayson (ou plutôt Hunter) t’appelait !